Le Cinq, comme une page blanche où commence une histoire
Il y a des adresses qui résonnent avant même qu’on en pousse la porte. Des noms qui évoquent des promesses. Le Cinq, à l’hôtel George V, fait partie de ceux-là. Il y a le prestige, oui. Trois étoiles, des murmures dans les couloirs de la gastronomie. Mais surtout, il y a cette intuition douce que, derrière les murs haussmanniens, se cache quelque chose de rare.
Ce matin-là, Paris s’éveillait lentement sous une lumière pâle d’avril. Les pavés encore humides bruissaient du passage discret des passants. Nous étions trois : elle, moi, et notre petit garçon de quatre ans, les yeux grands ouverts, une peluche à la main. Un vendredi d’échappée. Une parenthèse dans le tumulte. Une promesse de lenteur.
Dès le seuil franchi, tout devient feutre et velours. Le silence se pare de dorures. On marche comme dans une bibliothèque ancienne, les pas amortis, les voix murmurées. Le décor du Cinq n’est pas seulement somptueux : il est littéraire. Chaque fauteuil semble attendre un lecteur. Chaque bouquet de fleurs fraîches raconte un poème. On pourrait presque entendre Proust au loin, ou une note de Ravel, suspendue entre les colonnes.
Un accueil comme une dédicace
L’équipe nous accueille comme on tourne la première page d’un roman précieux. Avec soin, avec respect. Notre fils est tout de suite invité à entrer dans le récit. Une chaise ajustée. Une assiette à son nom, dessinée au sucre. Une petite carte sur la table, glissée comme un marque-page : « Bienvenue, petit gourmet. »
Nous nous installons à une table ronde, baignée d’une lumière naturelle filtrée par de hautes fenêtres. À travers les vitres, Paris semble avoir ralenti. On entend presque le bruissement d’une page qu’on tourne.
Le pain arrive, chaud, dense, généreux. Il craque comme une allitération. Le beurre, sculpté comme une vague, fond doucement. C’est une première phrase, douce, caressante. Un prologue.
Une ouverture sensorielle : la lecture commence par les sens
L’amuse-bouche est une trilogie de sensations : mousse de fenouil, éclat de betterave, écume iodée. Il y a dans cette première bouchée la promesse d’un voyage : à la fois végétal, marin, mystérieux. Notre fils hésite, puis goûte. Il rit. Il dit que ça pique un peu, mais qu’il aime bien. C’est un petit chapitre d’initiation.
Chaque plat qui suit est un paragraphe soigné, un rythme. Nous ne mangeons pas, nous lisons. À la fourchette. À la cuillère. À pleine bouche parfois, quand l’émotion déborde.
L’entrée est une Saint-Jacques légèrement snackée, posée sur un lit de céleri confit, accompagnée d’une vinaigrette tiède aux agrumes. Elle, elle ferme les yeux. Moi, je l’observe. Ce plat-là est un poème blanc. Une fugue. Il dit quelque chose de l’instant : la douceur de l’attente, la chaleur du lien.
Notre fils goûte un morceau. Il dit que ça fond. Il ne comprend pas tout, mais il ressent. Comme quand on lit un livre trop grand pour soi, mais qu’on en saisit l’âme.
Une montée en intensité : l’art de l’équilibre
Le plat principal est un chef-d’œuvre de construction : pigeon rôti sur carcasse, farci aux herbes et servi avec une purée de topinambour fumée, un jus réduit au cacao. Il y a dans cette assiette l’intensité d’un chapitre central. Un retournement. Une montée dramatique.
Elle me prend la main. Nos regards se croisent. Nous savons que ce repas n’est pas juste un déjeuner. C’est un moment de bascule, un de ceux que la mémoire gardera intacts.
Notre fils, concentré, découpe son petit morceau. Il goûte. Il dit que ça a le goût de forêt. Il a raison.
Et puis vient un plat de transition, comme une respiration dans le récit : un granité au citron Meyer, posé sur une crème de basilic doux, entouré de perles de yuzu. Un haïku glacé. On sourit tous les trois. Il y a des bulles de joie dans cette assiette. Des éclats d’enfance.
Le dessert : une fin ouverte, suspendue comme une dernière phrase
Le dessert est une sphère de chocolat noir, fine comme un papier de soie, que l’on brise d’un coup de cuillère. À l’intérieur, une ganache au piment doux, une glace à la vanille fumée, et un cœur coulant de caramel. C’est un dénouement, mais qui ne clôt rien. Il ouvre. Il laisse place au silence.
Notre fils s’exclame : « C’est comme une cachette ! » Il plonge sa cuillère encore et encore, les yeux brillants. Nous rions. Ce n’est pas un dessert. C’est une scène. Une déclaration d’amour à la gourmandise, à l’enfance, à la surprise.
L’après-repas : le murmure de l’âme
Le café est servi sur une assiette comme un plateau de lecture : madeleines tièdes, mini-opéras, truffes au chocolat. On parle peu. On se regarde. On est bien. Il y a dans cet instant une forme de gratitude muette.
Le temps s’est dilaté. Ce repas a duré trois heures, mais il semble avoir contenu une journée entière. Un voyage. Un livre. Un poème.
En quittant Le Cinq, notre fils nous demande s’il pourra revenir ici « quand il sera écrivain ». Je lui réponds que cet endroit l’attendra. Comme une bibliothèque silencieuse. Comme un souvenir prêt à être relu.
Dehors, les Champs-Élysées bruissent. Mais en nous, il y a le calme. La paix des pages tournées. L’émotion simple d’un instant vrai.
Informations pratiques
Restaurant Le Cinq – Hôtel Four Seasons George V
31 Avenue George V, 75008 Paris, France
📞 Tél. : +33 1 49 52 71 54
🌐 Restaurant Le Cinq