Le départ : sur la route des songes
Il y a des matins où tout semble avoir été écrit d’avance. Le soleil n’est ni timide ni brutal, mais juste posé sur l’horizon, comme une promesse douce. Ce jour-là, nous avions décidé de prendre la route vers Ouches, emportant avec nous notre fille, trois ans à peine, dans une escapade au goût d’aube nouvelle. Ce n’était pas un simple déjeuner, mais une quête. Celle d’un moment suspendu, d’un souvenir à enfouir au cœur. La voiture roulait lentement, presque au rythme d’un métronome calme. Les arbres, les prés, les vallons s’étiraient avec cette quiétude propre aux campagnes où le temps semble s’oublier. Et au bout du chemin, une maison. Un monde. Celui des Troisgros.
L’arrivée : la beauté de l’inattendu
Le Domaine des Troisgros ne se découvre pas. Il se révèle. Au détour d’une courbe, une bâtisse élégante surgit, mariant avec justesse la tradition et l’architecture contemporaine. Pas d’esbroufe. Juste une harmonie rare, comme un haïku posé sur la terre.
Dès l’arrivée, une équipe souriante nous accueille, sans raideur, sans exagération. Juste ce qu’il faut d’attention pour que l’on se sente attendu. Notre fille est prise par la main par une jeune femme au regard lumineux. Elle lui parle doucement. Elle rit. Elle comprend.
Le lieu respire. Autour, un parc. Des arbres centenaires, des herbes folles, une mare tranquille. Et au loin, les cuisines, visibles à travers une grande baie vitrée. Là où la magie se fabrique, lentement, amoureusement.
La salle : une scène pour les silences
La salle à manger, baignée de lumière naturelle, est un écrin. Des lignes sobres, un design doux, presque scandinave. Rien n’y crie, tout y murmure. Les nappes blanches sont tendues comme des feuilles prêtes à recevoir les mots. Les verres brillent sans ostentation. C’est ici que l’histoire va s’écrire.
Nous sommes installés près de la fenêtre. Dehors, le vent joue doucement dans les feuillages. Notre fille s’émerveille devant les reflets de l’eau. Elle demande : « C’est un château ici ? » Et dans son regard, je vois que la réponse est oui.
Le commencement : des saveurs comme des poèmes
Un premier amuse-bouche arrive. Sur une assiette claire, une composition fine : un carpaccio de radis noir, perlé de vinaigre de fleur et d’huile de noisette. L’enfant goûte, intriguée. Elle fronce le nez. Puis le goût fait son chemin. Elle recommence. C’est un jeu. C’est une découverte.
Le pain, chaud, craquant, est posé dans un panier en bois. Le beurre, parfumé au foin, nous renvoie à des souvenirs d’enfance, à des étés passés dans les champs. Ici, chaque détail est un récit.
Puis vient une assiette, pure et vibrante. Un œuf parfait, couché sur une crème de topinambour, surmonté d’un sabayon au café et parsemé de grains de sarrasin torréfiés. À la première bouchée, le silence s’installe. Il y a cette chaleur en bouche, cette rondeur étrange, ce contraste inattendu entre le doux et le fumé. Ce n’est pas un plat, c’est une scène de théâtre.
Le voyage : au cœur de l’imaginaire
Le second plat nous emmène ailleurs. Un filet de féra du lac Léman, cuit doucement, repose sur un lit de betteraves fumées. Un coulis de fruits rouges, discret, en souligne l’éclat. Les couleurs éclaboussent l’assiette comme une toile de Rothko.
Notre fille, d’un doigt curieux, désigne chaque élément. « Et ça, c’est quoi ? » Elle goûte, apprivoise, puis savoure. Dans ses yeux, une étincelle. Ce moment d’éveil, ce frisson de découverte. Elle mange comme on lit un livre d’images : avec des “oh” et des silences.
Le moment suspendu : l’enchantement d’un lieu
Entre deux plats, nous marchons un instant dans le jardin. Main dans la main. Les oiseaux chantent. Une sculpture de bois attire l’enfant. Elle grimpe, rit, saute. Ce lieu est vivant. Il ne se prend pas au sérieux. Il se donne.
Le chef Michel Troisgros passe, discret. Il salue, écoute, observe. Son regard est celui d’un poète. Il semble lire en nous. Il sourit à notre fille : « Alors, c’est bon ? » Elle hoche la tête, très sérieusement. Il s’en va, léger comme une brise.
L’apothéose : des notes profondes
De retour à table, le plat de viande arrive. Un veau de lait, rôti sur l’os, servi avec un jus court au thym sauvage. À côté, un gratin d’épeautre aux cèpes, nappé d’un voile de parmesan vieilli. C’est un plat qui murmure à l’âme. Il parle de forêts, de saisons, d’héritage. Chaque bouchée est une confidence.
La viande fond. Le jus résonne. Le gratin danse. Nous ne parlons plus. Nous sommes. Là, ensemble, dans ce moment dense, enraciné.
Le dessert : un retour à l’enfance
Le dessert est une chanson. Une fine tartelette à la rhubarbe, reposant sur une crème d’amande à la fleur d’oranger. Le tout escorté d’une glace au lait ribot. Notre fille rit aux éclats en découvrant le sablé croustillant. Elle le croque comme un secret.
Je la regarde. Elle, si jeune, mais déjà là, dans l’instant. Ce repas n’est pas qu’un acte de gourmandise. C’est une leçon de présence. Un rappel que la beauté réside dans l’attention que l’on accorde aux choses.
Le temps après : l’écho d’une émotion
Le café est servi dans un petit salon attenant, baigné de lumière. Quelques mignardises : un mini cannelé au sarrasin, une guimauve à la fleur de sureau, un chocolat fumé au bois de vigne. On prolonge. On retarde le départ.
Dehors, le ciel s’est fait plus profond. Le vent s’est levé. Mais en nous, quelque chose s’est calmé. Ce déjeuner fut plus qu’un repas. Il fut un texte. Un poème. Un livre que nous avons lu à trois voix, ligne par ligne, bouchée par bouchée.
Nous repartons en silence, mais remplis. De tendresse. De beauté. De ce luxe discret qu’est l’attention.
Et dans les yeux de notre fille, une promesse : revenir.
Informations pratiques
Restaurant Troisgros – Le Bois sans Feuilles
Le Domaine de Ouches
728 route de Villerest
42155 Ouches – France
📞 Téléphone : +33 (0)4 77 71 66 97
🌐 Site Web : www.troisgros.fr
