Le souffle du départ : promesse d’un ailleurs
Santorin en Grèce : Il y a des voyages qui ne se préparent pas comme les autres. Des départs qui murmurent, dès l’aéroport, que quelque chose va changer. Que le monde va se ralentir. Qu’on va vivre ensemble, différemment. Nous sommes partis à trois : lui, moi, et notre fille, tout juste quatre ans. Dans nos bagages, peu de choses : des robes légères, un carnet pour dessiner, et ce besoin presque vital de se retrouver.
Santorin n’était pas un rêve figé sur papier glacé. C’était une promesse d’horizon. Une île aux contours trop parfaits pour être vrais. Nous avions lu, entendu, vu tant d’images. Et pourtant, rien ne nous avait préparés à la première vision.
L’arrivée : un choc de beauté suspendue
L’avion descend lentement. Par le hublot, l’île se révèle. Suspendue entre mer et ciel, dessinée par les caprices d’un volcan endormi. D’un bleu infini surgissent des falaises blanches, abruptes, éclatantes. Elles se dressent comme des miradors posés au bord du monde. À leur sommet, les dômes bleus de Fira et d’Oia brillent, comme des perles sur une couronne de pierre.
Notre fille colle son nez à la vitre. Elle murmure : « On est dans un rêve ? »
Oui, peut-être.
Nous arrivons dans l’après-midi, quand le soleil dore encore les murs à la chaux mais commence déjà à effleurer la mer de reflets argentés. Les valises sont vite posées. Nous logeons dans une maisonnette troglodyte à flanc de caldeira, à Imerovigli. Le sol est en pierre fraîche, les murs d’un blanc presque irréel. Une vasque de figues repose sur la table, à côté d’un petit mot : Bienvenue au paradis.
Premiers pas dans l’île : la lumière comme caresse
Dès les premières heures, c’est la lumière qui nous enveloppe. Elle ne tombe pas, elle glisse. Sur les dômes azur, sur les marches de marbre, sur les chats somnolents aux coins des ruelles. Nous marchons sans but, main dans la main, notre fille trottinant devant nous, riant, criant, appelant les mouettes.
Santorin n’a pas besoin de mots. Elle vous parle en silence. Par le froissement du vent entre les colonnes. Par la senteur des fleurs d’oranger dans les patios. Par les voix qui montent des terrasses au crépuscule.
Le soir venu, nous trouvons une taverne en terrasse. Le serveur, sourire franc et mains généreuses, installe une petite chaise entre nous. Il lui apporte un jus de grenade frais, et une assiette de pain pita encore chaud. Elle le trempe dans le tzatziki, et soudain tout devient simple. Partager. Goûter. Regarder.
Les premiers poissons grillés, l’huile d’olive épaisse, le vin local servi dans de petites carafes de métal… Rien de prétentieux. Juste juste.
Fira et Oia : la marche suspendue entre ciel et feu
Le lendemain, nous décidons de marcher. De Fira à Oia. Une randonnée de quelques heures, en crête, face à la mer Égée. C’est une ligne fragile entre deux mondes : le monde d’en haut, minéral, immobile, et celui du bas, liquide, vibrant.
La chaleur est sèche mais le vent nous caresse. Notre fille est perchée sur les épaules de son père, riant aux éclats. Le sentier serpente, tantôt large, tantôt étroit. À chaque virage, un miracle : une église aux volets clos, une chapelle perdue dans les genêts, une vue qui coupe le souffle.
Les dômes d’Oia finissent par apparaître, comme une illusion bleutée à l’horizon. Nous y arrivons alors que le soleil commence sa chute. C’est un théâtre. Des centaines de silhouettes silencieuses attendent, suspendues. Et quand l’astre plonge, lentement, dans la mer — une explosion d’orange, de rose, de pourpre —, personne ne parle. Notre fille murmure encore : « Le ciel s’endort. »
Et nous, les yeux embués, comprenons que ce moment, ce simple instant de lumière, est déjà un souvenir éternel.
Pyrgos : l’âme cachée de l’île
Un matin, nous quittons les falaises pour découvrir l’intérieur des terres. Pyrgos, petit village suspendu dans le temps, s’étire sur une colline. Ruelles pavées, portes en bois peint, chats nonchalants. Ici, nul décor pour touristes : c’est la vraie Santorin, celle des anciens, des familles, des cloches qui sonnent à midi.
Nous montons jusqu’à l’église du sommet. Il n’y a personne. Juste nous trois. La vue s’ouvre, totale, sur les vignes rases, la mer, les autres îles au loin comme des ombres flottantes. Le silence est dense. Il n’effraie pas. Il enveloppe.
Nous nous asseyons. Rien à dire. L’air sent le thym, les pierres sont tièdes sous nos mains, et notre fille s’endort contre moi. Le monde peut bien tourner : ici, tout est calme.
Amoudi : la mer, enfin
Le dernier jour, nous descendons jusqu’au port d’Amoudi, au pied d’Oia. Des escaliers abrupts, que nous prenons lentement, en riant. Chaque marche est une aventure. Et tout en bas : l’eau. Claire. Invraisemblable. Un vert céladon, un bleu profond.
Les rochers rougissent au soleil. Nous nageons. Ensemble. L’eau est fraîche, vive. Elle nous réveille, nous lie. Notre fille, accrochée à nos épaules, éclate de rire à chaque vague. Sur la rive, de petites tavernes aux nappes bleues servent des poulpes séchés et des tomates rôties. On mange avec les doigts, avec le cœur.
Et soudain, la mer nous paraît si proche. Comme un ventre maternel. Comme une mémoire.
Le retour : laisser l’île nous habiter
Nous repartons le cœur serré, mais léger. Santorin ne nous quitte pas. Elle s’insinue. Dans notre peau encore dorée. Dans les grains de sable au fond du sac. Dans les yeux de notre fille, qui répète le mot caldeira comme un secret.
Cette île n’est pas un lieu. C’est un poème. Une prière. Un écrin de lumière qui a su, le temps d’un séjour, nous réapprendre à vivre à trois.
Elle ne promet pas l’éternité. Elle offre mieux : l’instant suspendu, l’instant vécu, le souvenir vibrant.
Santorin nous a pris la main. Elle nous a regardés aimer.
Et cela, jamais nous ne l’oublierons.
Adresse magique :
Santorin (Thira), Grèce
Caldeira – Oia – Fira – Imerovigli
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