Le quai
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Au Quai d’Amiens : une ode à l’amour, à l’enfance et à la lecture

Un déjeuner comme une page blanche

Il est des instants que l’on ne prévoit pas, des moments en suspens que la vie offre en silence. Ce dimanche-là, Amiens respirait doucement sous un ciel d’aquarelle. Les rues encore calmes, le trottoir humide de la pluie du matin. À deux pas du quai Bélu, bercé par les reflets de la Somme, se niche un écrin discret au nom limpide : Le Quai.

C’était un déjeuner prévu de longue date, et pourtant sans programme. Un simple « on verra bien ». Et c’est peut-être cela qui a tout changé. Car ce que nous avons vécu ce jour-là, à trois, n’était pas un simple repas. C’était un poème à trois voix. Celle d’un homme et d’une femme, liés par les livres et les regards. Et celle d’un enfant, leur fils de quatre ans, grand lecteur de silences et découvreur de mondes.

L’entrée dans un roman vivant

La façade de Le Quai est presque modeste, enveloppée par la lumière pâle du fleuve et les façades anciennes des maisons amiénoises. Mais en franchissant la porte, un autre univers s’ouvre. Le bois, la pierre, les nuances de bleu profond et de vert mousseux… Tout ici semble inspiré d’un roman de Marguerite Duras ou d’un album de jeunesse délicat. Un lieu où l’on murmure, où l’on écoute, où l’on s’assoit comme on s’installe dans un chapitre.

La salle est baignée d’une lumière naturelle qui glisse sur les tables nappées de blanc. À notre arrivée, tout est fluide : un sourire, une main tendue, une chaise qu’on ajuste à la hauteur de notre petit garçon. Il a les yeux grands ouverts. C’est son premier vrai restaurant, dit-il. Il le chuchote, comme si c’était sacré. Nous, nous sourions. Car on sait qu’il a raison.

Les premiers mots du menu

Avant que les assiettes ne parlent, c’est l’ambiance qui nous enveloppe. Douce, feutrée, presque littéraire. Le serveur nous tend la carte comme on tendrait un recueil de poésie. Chaque ligne est une promesse, chaque plat, une strophe. Nous lisons à voix basse, nous débattons doucement, et notre enfant, entre deux dessins griffonnés dans son carnet, écoute, intrigué.

Le premier amuse-bouche arrive, aussi discret qu’un mot d’amour dans un roman de Modiano. Une crème de céleri, fine, légèrement muscadée, surmontée d’une mousse de citron confit. Le contraste est parfait. Léger, éveillant. Notre fils hésite, puis goûte. Il fronce les sourcils, puis éclate de rire. “C’est bizarre… mais j’aime bien !” Et nous savons que le voyage a commencé.

Des plats comme des chapitres intimes

L’entrée est un hommage à la terre picarde : betteraves rôties, copeaux de vieux maroilles, noisettes torréfiées, et un filet de vinaigre de cidre maison. La betterave fond, le fromage caresse, la noisette surprend. C’est une lecture lente, attentionnée. Un plat qui se lit comme un vieux carnet de recettes annoté à la main.

Notre fils, curieux, demande pourquoi les betteraves sont rouges. On lui parle de racines, de sol, de lumière. Il écoute, fasciné, et dessine une betterave qui danse sur son carnet. Elle sourit. Il rit.

Le plat principal nous cueille sans prévenir. Une volaille de Licques farcie de cèpes, posée sur une polenta crémeuse, nappée d’un jus réduit à la chicorée. Le silence s’installe. Ce n’est pas de l’émotion tapageuse, mais un frisson intérieur. Les saveurs racontent une histoire ancienne, presque oubliée, celle des dimanches d’enfance, des repas de famille, des cuisines où mijotaient des secrets.

Notre fils goûte. Il demande si c’est du poulet. On lui dit oui, mais un poulet qui aurait voyagé dans une forêt enchantée. Il approuve. Il en redemande. Il comprend. À sa manière.

Une pause, comme une respiration entre deux pages

Un granité au thym citron, perlé de sirop de poire, arrive comme une virgule dans cette phrase sensorielle. Il est frais, piquant, tonique. On ferme les yeux. On imagine les herbes au jardin, le parfum des fruits mûrs. On se regarde. On est là. Ensemble.

C’est à ce moment précis que notre fils sort de sa poche un petit livre. Il le feuillette doucement. Il veut qu’on lui lise une histoire. Et alors, dans ce restaurant élégant, entre deux plats, une voix douce s’élève, racontant la légende d’un petit écureuil qui rêvait d’étoiles. Le personnel passe, discrètement attendri. Personne ne dit rien. Le temps s’est arrêté.

Le dessert : un dernier poème

Le dessert arrive, comme une apothéose. Une mousse au chocolat noir, intense et profonde, lovée dans une coque de sucre soufflé. À l’intérieur, une crème à la fève tonka, et quelques éclats de noisette caramélisée. C’est une ode. Une déclaration.

Notre fils ose casser la coque. Elle craque avec un bruit délicieux. Il rit, encore. Il trempe son doigt, goûte. Il murmure : “On dirait la nuit qui fond dans la bouche.” On ne pouvait pas mieux dire.

Et après ? Le souvenir

Le café est servi. Avec lui, quelques douceurs : un macaron à la verveine, un financier aux amandes, une truffe au cacao. Notre fils en goûte une, puis s’endort contre sa mère, la tête posée sur ses genoux. Il rêve sûrement de betteraves dansantes et de mousse au chocolat qui chuchote.

Nous restons là, longtemps. Sans parler. Le fleuve coule, lentement. Les mots nous manquent, mais ce n’est pas grave. On vient d’écrire un chapitre à trois. Il s’appelle Le Quai, et il ne s’oubliera pas.

Ce repas ne nous a pas seulement rassasiés. Il nous a rassemblés. Il nous a rappelé que manger, c’est lire un territoire, écouter une saison, se dire “je t’aime” sans le dire.


Informations pratiques

Le Quai
22 Place Parmentier
80000 Amiens, France
📞 Tél. : +33 3 22 92 72 35
🌐 Site : https://www.restaurantlequaiamiens.fr

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