L’arrivée : quand la route se fait poème
Il est des lieux qui ne s’atteignent pas seulement par la route, mais par le cœur. Des lieux que l’on pressent avant de les voir. Le Cova Santa est de ceux-là. Niché au creux d’une colline ibizienne, à flanc de roche et baigné de lumière dorée, il ne se dévoile pas tout de suite. Il se mérite. Il se rêve.
Nous avions quitté le tumulte des plages et les pulsations pressées d’Ibiza-ville. L’arrière-pays, plus brut, plus tendre, s’offrait à nous. Les pins dessinaient des ombres fines sur la route. Notre fille, à l’arrière, s’était endormie, un livre d’images renversé sur ses genoux. Et dans la voiture, le silence était complice. Il y a des moments où l’on sait que quelque chose va advenir. Où l’on sent que l’instant s’apprête à se changer en souvenir.
Puis, au détour d’un virage, il était là. Cova Santa. Sculpté dans la roche, comme une respiration. Ni tout à fait restaurant, ni tout à fait cabaret, mais un monde en soi. Un lieu suspendu entre ciel et terre, entre flammes et étoiles.
L’accueil : une étreinte sans mots
Dès l’arrivée, nous sommes enveloppés. Une brise légère. Un parfum mêlé de jasmin, de romarin, de cuisine méditerranéenne. Et cette musique, fine, presque chuchotée, qui semble venir du sol. L’équipe nous accueille avec cette justesse rare : une élégance sans excès, une bienveillance sans posture.
Notre fille s’éveille, frottant ses yeux. Une jeune femme s’agenouille devant elle, lui tend une petite fleur. Le lien est immédiat. Ici, les enfants ne sont pas tolérés. Ils sont invités. Considérés. Et dans ce lieu si singulier, leur curiosité trouve un écho naturel. Il y a dans l’air quelque chose de magique. On le sent. Même sans le comprendre.
Le lieu : entre grotte et ciel, un théâtre des sens
Cova Santa, c’est une grotte ouverte sur le ciel. Une faille minérale où le jour joue avec l’ombre, où la lumière caresse les tables. Le restaurant, installé en terrasses successives, épouse le relief naturel. On déjeune entre les rochers, sous des voiles blanches tendues comme des ailes. À chaque niveau, une perspective différente. Une poésie en couches.
Les tables sont dressées avec un raffinement discret. Nappes immaculées, assiettes ciselées, verres comme des éclats de lune. Et cette vue… La vallée s’étire, vaste et silencieuse. Au loin, on devine la mer. Nous sommes dans un refuge. Un écrin.
Le déjeuner : quand les plats racontent des contes
Le premier contact est un amuse-bouche d’amandes fraîches, légèrement fumées, déposées dans un petit nid de sarments. Notre fille les regarde longuement, puis en croque une. Son sourire éclaire tout. Le chef a compris que manger peut être un jeu sacré. Une cérémonie ludique. Ici, chaque plat semble venir d’un autre monde, ou d’un rêve.
L’entrée arrive : un carpaccio de gambas rouges, posé sur un lit de glace cristalline, parsemé de fleurs comestibles. C’est un tableau. La transparence de la crevette, la vivacité du yuzu, la tendresse de la fleur de sel. Nous nous regardons, émus. C’est le goût de l’été qui commence. Notre fille demande une bouchée, puis une autre. Elle ferme les yeux. Elle voyage.
Suit un plat végétal, comme une ode au jardin : asperges blanches tiédies, crème de noisettes, copeaux de truffe noire. Le croquant, le velouté, l’arôme. Rien n’est forcé. Tout est accord. C’est une musique douce. Et pendant que nous savourons, au loin, une harpe commence à jouer. Oui, une harpe. Un musicien s’est installé, là, sous un arbre. Comme s’il répondait aux plats.
Le plat principal est une surprise : un ris de veau caramélisé au miel de thym, posé sur un écrasé de pommes de terre fumées, entouré d’un jus court à la réglisse. C’est dense, mais lumineux. Riche, sans lourdeur. L’enfance de l’un rencontre l’audace de l’autre. Il y a dans ce plat la mémoire d’un dimanche et le frisson d’un bal nocturne.
Notre fille, entre deux bouchées, observe les oiseaux, écoute les rires, danse sur sa chaise. Ce repas, c’est pour elle aussi. C’est un conte, avec des saveurs pour personnages.
Le spectacle : quand le jour devient rêve
À mesure que l’après-midi avance, l’ambiance évolue. Des artistes apparaissent, comme sortis d’un autre monde. Danseurs masqués, musiciens nomades, personnages aux costumes flottants. C’est « WooMoon », nous dit-on. Un événement entre rituel et performance, entre rêve et célébration.
Notre fille est captivée. Elle tend les bras vers un homme oiseau qui l’invite à tourner sur elle-même. Nous les regardons, silencieux. À Cova Santa, l’art n’est pas une distraction. Il est partie intégrante de l’instant. Une prolongation du goût, de l’émotion, de la lumière.
Le dessert arrive : une sphère de chocolat blanc garnie de crème de lavande, fruits rouges et éclats de pistache. À la première cuillère, elle s’effondre doucement. Comme un secret qu’on murmure. Comme une étreinte. Notre fille éclate de rire. Elle y plonge ses doigts. Et nous aussi, à notre façon.
L’après : rester, encore un peu
On nous propose un thé à la menthe, servi sur un plateau en cuivre, dans des verres colorés. Nous nous installons un peu plus loin, sous un figuier. Le soleil décline. Les musiques s’adoucissent. Les artistes s’éloignent. Mais quelque chose reste. Dans l’air. En nous.
Nous ne parlons pas beaucoup. Pas besoin. Tout est dit. Ce moment, à trois, au Cova Santa, restera. Comme une page dorée dans le grand livre de nos jours. Une page qu’on relira, souvent, en silence.
Notre fille s’endort contre moi. Son visage détendu, sa bouche encore teintée de framboise. Nous sourions. Parce qu’il y a des endroits qui savent accueillir non seulement les corps, mais les âmes. Des lieux qui ne vous laissent pas tout à fait indemnes.
Cova Santa en fait partie.
Cova Santa – Restaurant, Club & Cabaret
Ctra. San José, km 7, 07830 Ibiza, Espagne
https://covasanta.com