Le départ : quand l’amour se met en route
Il est des jours qui semblent écrits d’avance, comme s’ils attendaient leur propre musique pour exister pleinement. Ce matin-là, un dimanche un peu tiède, un peu rêveur, nous avons pris la route en famille vers un lieu que l’on nous avait murmuré comme un secret : AM par Alexandre Mazzia, au cœur de Marseille.
À l’arrière de la voiture, notre petit garçon, encore alourdi de sommeil, tenait un livre entre ses mains. Un livre sans images mais plein d’histoires. Il ne savait pas encore que ce déjeuner allait en écrire une nouvelle, rien que pour nous trois.
Il ne s’agissait pas d’un simple repas. C’était une quête douce, une échappée belle entre les gestes du chef et les battements d’un cœur familial. Une aventure des sens, un moment suspendu. Une ode, surtout, à l’enfance et à l’amour partagé.
L’arrivée : une porte entrouverte sur un monde intérieur
Dans la ville lumineuse de Marseille, l’adresse est discrète. Presque timide. On pourrait passer devant sans savoir. Et pourtant, dès que la porte se referme derrière nous, le monde extérieur se dissout.
Une atmosphère de bois clair, de textures douces, de murmures délicats nous enveloppe. Le restaurant AM, c’est un cocon. Un théâtre sans rideaux où tout est juste, précis, délicatement orchestré. Pas de faste, pas de gestes inutiles. Ici, l’épure règne. Et dans cette sobriété, le luxe le plus rare : le soin.
Notre fils est accueilli avec une attention qui dépasse la politesse. Une chaise adaptée, un regard sincère, un mot doux chuchoté à sa hauteur. Il se sent important. Et nous, profondément respectés.
Le prélude : des bouchées comme des vers chuchotés
Les premiers instants se déroulent en silence. Celui des temples, celui des bibliothèques. Le bruit feutré d’un couteau qui repose doucement, le cliquetis contenu d’une cuillère curieuse. On ne parle pas. On écoute.
Les amuse-bouches arrivent comme des haïkus. Légumes fumés, fleurs séchées, petits éclats marins… Chaque bouchée est un vers, chaque texture une ponctuation. Alexandre Mazzia ne cherche pas à séduire ; il parle un langage intime, et ceux qui tendent l’oreille sont bouleversés.
Notre enfant porte l’un de ces morceaux à sa bouche, lentement. Il goûte, fronce les sourcils, réfléchit. Puis sourit. Il vient de comprendre que l’on peut raconter une histoire… avec une saveur.
L’ouverture des mondes : entre mer et feu
La première entrée arrive comme un poème vibrant : une crevette en infusion de gingembre, relevée de poivre de Sichuan, posée sur un voile d’algue kombu. C’est iodé, brûlant, effleuré de douceur. Le croquant répond à la caresse. Le plat respire.
Puis, un carpaccio de bœuf wagyu, fumé minute, servi avec une huile de piment fermenté maison. Il y a là une intensité rare. Le feu ne brûle pas, il éclaire. Il évoque les voyages, les marchés lointains, les ruelles d’Asie où les odeurs racontent mieux que les mots.
Notre fils, fasciné par la fumée qui s’élève, demande à goûter. Il trempe le bout de sa langue, intrigué. Puis demande une autre bouchée. C’est cela, la magie de cette maison : elle invite à l’aventure. Même les plus jeunes comprennent, d’instinct.
La poésie dense : entre terre et mystère
Vient alors le plat de cœur, celui qui marque, celui qu’on n’oubliera jamais. Un pigeon, cuit lentement dans une infusion de cacao amer, accompagné d’un jus réduit au café et au tamarin. C’est sombre, intense, presque spirituel. Une cloche de parfum se lève. Le silence devient solennel.
Nous échangeons un regard. Notre couple, nos années, nos voyages, tout semble résonner dans cette assiette. Chaque bouchée est un souvenir retrouvé. Notre fils, lui, picore une purée d’aubergine fumée. Il rit, sans comprendre pourquoi l’on est émus. Mais il rit avec nous. Il est là. Il participe.
Il ne s’agit plus de manger. Il s’agit de sentir. D’accueillir. D’aimer.
La parenthèse de lumière : granité et lumière d’agrumes
Une transition fraîche arrive, aussi belle qu’un matin d’été. Un granité de citron vert, relevé d’huile d’estragon et de quelques zestes de combava. C’est vif, tranchant, presque effervescent. Cela réveille l’âme.
Notre petit garçon, hilare, en redemande. Il y a quelque chose d’enfantin dans ce plat, de joueur. On pense aux baignades en Méditerranée, aux citrons cueillis encore tièdes. Le dessert n’est pas encore là, mais déjà nous savons que ce moment restera gravé.
Le final : douceur et suspension
Et voici le dernier tableau : un dessert en trois temps. Sorbet au lait fumé, posé sur un biscuit de riz noir croustillant. Puis un espuma de sésame blanc, léger comme une caresse. Enfin, une tuile au caramel et miso.
C’est un baiser sucré. Une déclaration d’amour à la tendresse.
Notre fils découvre la texture mousseuse, ses yeux s’ouvrent comme des fenêtres. Il plonge sa cuillère, puis ses doigts. Il veut comprendre. Il veut sentir le monde avec la bouche. Et nous, émus, le regardons faire. Il apprend ce jour-là que la douceur peut être une forme de génie.
Le temps après : celui de l’écho
Le café est servi avec quelques douceurs inattendues : un bonbon à la coriandre, une tuile au curry noir. Mais nous ne mangeons plus vraiment. Nous sommes ailleurs.
Ce déjeuner a duré presque trois heures. Et pourtant, il nous semble qu’un souffle à peine a passé. Un rêve éveillé. Une promenade à trois. Un poème lent et précieux, où chaque mot a compté.
Nous sortons, mains dans la main, encore bercés par la chaleur du lieu. Marseille brille. Le ciel est vaste. Notre fils marche devant nous, son livre toujours en main. Il sourit.
Nous venons de vivre quelque chose de rare. De vrai. Un de ces instants que l’on garde en soi, pour les jours gris, pour les hivers trop longs. Une lumière douce, déposée en nous.
Restaurant AM par Alexandre Mazzia
9 Rue François Rocca, 13008 Marseille, France
📞 Tél. : +33 4 91 24 83 63
🌐 www.alexandremazzia.com